Arriver à New York pour la première fois...

Arriver à New York pour la première fois et cette impression étrange d’une ville familière, parce que déjà parcourue, de nombreuses fois, avec Scorsese, Audrey Hepburn, Carrie Bradshaw...

Nous éprouvons quelque chose de similaire devant les photos de Louise Bossut. Puisant dans des images que nous ne savions pas connaitre si bien, elles génèrent références et impressions, jouent de ce sentiment de déjà-vu, si bien que de l'ordinaire, du résolument moderne - du contemporain en somme - surgit une histoire qui nous habitait à notre insu.

Louise Bossut est habitée par l'Histoire de l'Art, en particulier la peinture figurative. Son travail de photographe se décline selon les grands thèmes classiques: paysage, nu, portrait, nature morte et à travers eux elle revisite cette Histoire de l'Art et le travail de certains artistes en particulier:
“Les styles m'intéressent autant que les sujets".

Mais il ne s'agit en aucun cas de banales imitations: son travail est plus qu'une simple succession d'exercices stylistiques et est authentiquement contemporain, comme le montrait bien son exposition à la Chapelle de Boondael à Bruxelles, qui rassemblait des œuvres autour de chacun de ces sujets.

D'une grande qualité picturale, ses photographies se regardent comme nous le ferions de tableaux, de manière presque contemplative. C'est tout à fait vrai de ses paysages jurassiens, qui ouvraient l'exposition: se prêtant à des degrés différents de lecture, ces images nous interrogent, nous absorbent, la nature y prenant une dimension dramatique.

Louise Bossut travaille à la chambre, prêtant une attention scrupuleuse aux détails dans ses photos; elle aime "les choses précises". Les lignes se séparent du tout, les variations de tons et de lumières sont subtilement définies. Et comme il le ferait avec les thèmes de couleur ou les coups de pinceau, notre regard suit ici la ligne d'un chemin, une rangée d'arbres, un éclair de lumière montant vers le ciel bleuté, cette formidable ouverture qui illumine la plupart de ses paysages.

Une photographie, Grotte Sarazine, n'offre pas cette ouverture. Dans le bord supérieur un mur de pierre bloque notre regard, nous force à baisser les yeux, vers cette bouche béante, sombre et vorace, qui nous aspire, nous absorbe. La seule issue est vers le bas, suivant le mouvement de la chute d'eau, jusqu'à la limite inférieure du tableau.

Pas d'ouverture ici non plus.

Cette photographie a quelque chose de conflictuel. Louise Bossut s'intéresse à "la relation avec l'art du passé", une relation lourde ici, oppressante, à laquelle nous ne pouvons échapper.

Les images émergent des lieux mêmes. Louise Bossut dit de cette clairière dans Le Bain des Naïades que l’endroit s’est imposé à elle au premier regard, qu’elle devait absolument "y faire quelque chose".

Vint ensuite la question de la relation du corps et de la nature. A ce paysage sombre, immobile et dramatique, elle oppose la pâleur du beau corps lourd de cette nymphe, dont le déséquilibre est renforcé par le mouvement de l'eau à ses pieds.

Avec la lumière tombant sur son dos et sur la branche au-dessus d'elle, fragile abri, elle semble avoir tout juste émergé du ruisseau, nous offrant cet aperçu fugace alors qu'elle s'en retourne, indifférente, à son nid dans les roches.

Cette impression d'une vision, d'un bref instant saisit comme par accident, souligne la permanence de la nature autour d'elle, hors temps et mystérieuse.

Cette idée du "temps" renvoie également à la dimension temporelle de la photographie. Il y a quelque chose de calme et de médité dans cette image, de conceptualisé. Louise Bossut ne semble pas s'être précipitée pour prendre cette photo et elle le confirme elle-même: chaque œuvre est le résultat d'une longue gestation.

Cela est évident dans ses portraits. Surtout celui de son enfant, où notre regard nous semble une intrusion dans la discussion silencieuse entre le modèle et le photographe.
Presque impatient, ou frustré, son poing droit fermé, avec une franchise, une question dans ses yeux que d'autres portraits n'ont pas. La relation à son fils est présente ici: là où les modèles des autres portraits regardent le spectateur et renvoient à une certaine image d'eux même, cet enfant regarde directement la photographe. Et elle est présente ici, à travers cet échange de regard, se tenant entre nous et lui; un portrait renvoyant à Picasso, oui, mais avec une unique intensité.

Vient enfin LA photo qui affola Montrouge. Formidable ! Pas seulement parce qu'elle nous fait penser aux personnages de Bruegel, qui nous fascinent toujours autant, mais parce qu'elle nous renvoie à ces tableaux anciens à travers des paysages résolument contemporains, un parc, des promeneurs, non pas hors du temps mais bien actuels.

Cette photo est habitée par la lumière, les dégradés de blanc allant du bleuté au rose, les lignes de neige immaculée guidant notre regard. Et puis, il y a cette silhouette sur la droite, couverte d'une capuche et immobile, à l'écart des jeux des autres, silencieuse et contemplative. Devant cette photo nous nous tenons à la fois en retrait, cachés derrière ces branches, et à coté de cette figure, observant les autres, silencieux aussi, perdus dans nos pensées.

"Au fond la Photographie est subversive, non lorsqu'elle effraie, révulse ou même stigmatise, mais lorsqu'elle est pensive". (Roland Barthes, La Chambre Claire).

Cela aurait pu être écrit pour elle.

Diane Wanlin, 2015